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En 1598, William Shakespeare a écrit une tragédie. Dans cette tragédie, il y a des personnages principaux, des secondaires, et des non-nommés. Il y a Ophélie, dont le frère est parti à l’étranger et dont la mère est déjà morte. Ophélie, amoureuse d’Hamlet, à qui l’on fait bien comprendre que son rang doit l’empêcher d’espérer, Ophélie éconduite, Ophélie repoussée, Ophélie dont le père meurt de la main de l’homme qu’elle aime et qui semble sombrer dans la folie. Ophélie qui se noie consciemment dans un ruisseau. Souvent envisagée comme figure poétique ou muse, Ophélie incarne la nature, l’innocence et la pureté désarmées, le dernier espoir, dont l’âme flotte, écrit Rimbaud, depuis  » plus de mille ans « … Mais revenons à nos moutons, puisqu’il s’agit bien de ça. Imaginons qu’au moment où elle quitte le palais pour la dernière fois, on ait ordonné à cinq serviteurs non-nommés de la tragédie Shakespearienne de guetter les troncs de cinq arbres et de ne pas bouger jusqu’à ce qu’elle revienne. Bon, elle s’est noyée, certes, mais eux sont toujours là…

Auteur : Louise Pasteau
Artistes : Flavien Cornilleau, Emilie Piponnier, Paola Secret, Romain Loustau, Louise Pasteau
Metteur en scène : Louise Pasteau

Il est 18h30 dans le quartier du Marais lorsque je retrouve l’attachée de presse pour Liberté Egalité Ophélie. Je m’apprête à découvrir une pièce de théâtre abstraite. Nombreuses sont les salles de théâtre aux décors divers et variés, mais celle du Marais est toute particulière dans le sens où la porte de la salle donne directement sur la rue. Dans une petite aubette située à gauche de l’entrée, vous est confié le sauf conduit tant attendu. Je vous avoue qu’il s’agit d’une première en ce qui me concerne, le théâtre abstrait ne fait pas partie de mes acquis… Soit. On est heureusement venu à mon secours: quelques explications, présentation des acteurs et je m’engouffre enfin dans cette salle de toute petite capacité, soixante places tout au plus. Devant moi, cinq personnages en guenilles…silencieux. Un silence intriguant…la voix off plante le décors et nous voilà partis…Cinq personnages, tous différents, discutent debout face à un arbre (serait-ce un saule ou un platane? Peu importe). Une seule priorité: ne pas quitter l’arbre des yeux sous peine de ne jamais être nommé et par conséquent, de ne pas avoir de sens ni d’importance pour eux, entre eux et pour le monde extérieur. Situation relativement embarrassante et source de tensions. On assiste à un paradoxe complet et évolutif entre recherche de liberté, d’autonomie et détermination d’accomplir son devoir et d’exister par ce dernier. Cet équilibre instable fait renaître d’anciennes envies et craintes. Comment faire le pas? Comment prendre cette décision? Seul ou ensemble? Ces cinq acteurs tentent de répondre à la question sous forme de dialogues métaphoriques passant par l’humour, la crainte, l’hystérie, le déni ou encore la vanité.

Vous l’avez compris, cette pièce n’est pas de tout repos pour vos méninges et s’adresse, à mon sens, à un public averti. L’art de la scène est ici poussé aux frontières du réel et demande aux spectateurs une attention soutenue. Soulignons le travail et la préparation des acteurs. Jeux fabuleux. Textes difficiles, d’autant plus que les acteurs ne bénéficient pas d’autre repère que la voix de leurs « voisins d’arbres ».

Je vous invite donc à découvrir cette pièce. Moi je vais entourer un arbre de mes petits bras et y réfléchir encore et encore…

Thibaud Saussez

Jusqu’au 17 décembre au Théâtre du Marais   37, rue Volta à 75003 Paris

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