Prague, ville magique, écrivait jadis André Breton. La capitale de la République Tchèque est très connue et appréciée des touristes occidentaux et asiatiques pour sa beauté colorée, ses éléments architecturaux aussi complexes qu’historiquement riches. C’est aussi la destination favorite des fêtards européens, surtout britanniques, qui y trouvent une vie nocturne unique dûe à une législation souple en la matière. Mais Prague est aussi devenue une ville surréaliste et disposée à s’ouvrir aux arts contemporains et aux œuvres provocatrices. C’est dans cette mouvance, relativement nouvelle en Europe Centrale, que s’est engagé, les deux pieds en avants, l’artiste tchèque David Cerny.
Né dans la capitale de l’ex-tchécoslovaquie en 1967, ce grand brun un peu frêle se destine très vite à une carrière artistique. Etudiant de l’école des arts appliqués de Prague, il réalise en 1991 une première œuvre contestataire en repeignant un char Joseph Stalin en rose. Ce symbole de l’ère communiste du pays et de l’invasion de celui-ci par l’armée rouge est ridiculisé par l’acte du sculpteur. David Cerny est emprisonné pour « acte d’hooliganisme » mais est libéré quelques temps après. Le char est repeint en vert mais des députés bien décidés à tirer un trait sur le passé douloureux du pays profitent alors de l’aura médiatique dont bénéficie l’évènement pour repeindre à nouveau le char en rose. Ne sachant plus gérer la situation dans un endroit public, les autorités tchèques décident de transférer le char dans un musée de la ville. Cet acte, à la fois osé et insouciant, marque l’entrée de David Cerny dans le cercle des artistes contemporains de renoms.
Mais l’homme ne souhaite pas faire de ce coup d’éclat un cas isolé pour se faire remarquer aux yeux du monde. Huit années plus tard, c’est à un autre grand symbole du pays qu’il s’attaque, Venceslas Ier. Ce bon roi, comme on l’aurait désigné de nos jours, ne souhaitait pas la guerre et axait plutôt son discours vers une spiritualité pacifique, chose exceptionnelle au X ème siècle. La caricature que le Pragois fît de lui ne tarda pas à soulever de nombreux questionnements. On y voit le saint-roi, fier, assis sur son cheval qui est, lui, mort et pendu par les pattes. Un pied de nez à une statue similaire qui, à contrario, magnifiait le fondateur de la ville.
D’années en années, de succès en succès, le surréaliste monta les échelons de la renommée mais ne choqua plus autant le grand public. On peut citer les bébés grimpant sur l’austère tour Zizkov ou encore l’homme suspendu dans le vide au beau
milieu du quartier historique de la ville. Tout cela lui vaut, en 2000, le prix Jindrich Chalupecky qui récompense chaque année un jeune plasticien.
Mais son esprit de trublion ne l’abandonna pas pour autant. En 2009, c’est au tour de la république tchèque de prendre la présidence tournante de l’Union Européenne. Pour cette occasion, le gouvernement décida de faire appel à des artistes afin de réaliser une œuvre qui représentera cet évènement. David Cerny se présenta comme candidat et proposa de produire une sculpture grandiose qui représenterait chacun des 27 pays membres. En outre, cet objet serait créé par 27 sculpteurs issus de ces mêmes pays. Le gouvernement fût littéralement emballé et commande fût aussitôt faite. Mais voilà que lorsque l’œuvre monumentale fût terminée, c’est avec grande surprise que l’on assista, lors de son installation au siège du conseil européen, à une satire de la société européenne dans son ensemble. L’Entropa, nom de l’œuvre, regroupait 27 symboles censés représenter les différents pays d’Europe. Si certains étaient assez sobres comme la boîte de pralines ouvertes (Belgique) ou une chaîne de montagne (Lettonie, pays pourtant sans vallonnement), la plupart des symboles ont été jugés calomnieux par les pays concernés. On peut citer comme exemples la banderole « Grève ! » (France), le puzzle en deux parties (Chypre), le prophète Mahomet en Lego (Danemark), un pays couvert de flammes pour ses feux de forêt (Grèce) ou encore le drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté gay (Pologne).
Si tout cela choqua ou amusa l’opinion publique, la découverte qu’allait faire les officiels tchèques allait encore jeter de l’huile sur le feu. Les 27 personnes qui étaient à la base de l’œuvre n’étaient en fait que le seul Cerny lui-même. Les noms avaient été purement et simplement inventés.
Bref, chacun se fera son opinion sur cet artiste omniprésent dans le paysage pragois, mais qu’on l’adule ou qu’on le conspue, il faut bien avouer qu’il ne laisse pas indifférent et fait réagir les gens. Que demander de plus à l’art contemporain ?
Matthieu Matthys